Depuis quelques jours, je vous parle de mes vendanges à la main. Mais aujourd’hui, je souhaite vous donner quelques explications sur
la façon dont elles sont organisées. Une sorte de côté « face » après le côté « pile » traditionnel et bucolique.
Pour moi, la récolte à la main est un choix de respect pour mes vignes avant même d’être envisagée comme un moyen de produire de
meilleurs vins. En effet, tout au long du cycle végétatif, j’ai été attentive à ne pas brutaliser les ceps, alors il serait malvenu de mettre une "raclée" aux pieds sur le point
« d’enfanter » !
Par contre, c’est aussi un sacrifice financier évident. Le bonheur de nos vignes s’est toujours en partie fait au détriment du train
de vie de ma famille.
Depuis plusieurs années, mon équipe est composée d’un « noyau dur » de personnes locales qui reviennent d’une année sur
l’autre. Par contre, les vendangeurs supplémentaires sont recrutés par le « bouche-à-oreille » ou l’ANPE.
Si la première catégorie est constituée de travailleurs fiables et rapides, la deuxième révèle souvent de mauvaises surprises.
Il y a d’abord les annonces ANPE passées au niveau national qui nous amènent des candidats parfois venus de l’autre côté du pays.
C’est totalement aberrant de penser proposer à des personnes un emploi saisonnier de 10 jours à 1000 km du domicile sans logement ni nourriture.
Une autre catégorie ainsi recrutée est celle de personnes, qui ayant refusé plusieurs postes, sont « contraintes » de
travailler sous peine de perdre leur allocation ASSEDIC. Leur manque de motivation est souvent évident et l’ambiance de l’équipe peut très vite être détériorée.
Parfois il s’agit même de ressortissants de nations qui n’ont pas le droit de travailler en France et que nous ne pouvons donc pas
embaucher.
Dans cette population de vendangeurs, l’absentéisme est aussi très important. Il est fréquent d’avoir 3 à 4 absents pour un total de
15-20 vendangeurs. Chacun a bien entendu une bonne raison, au moins pour lui. Il est évidemment superflu de prévenir de son absence, le travail étant à la carte.
En fait, en plus du nombre nécessaire je dois donc disposer de vendangeurs qui sont de simples remplaçants pour éviter de
déséquilibrer les groupes coupeurs/porteur.
Le matin, avant de partir à la vigne, j’attends quelques minutes de plus les absents en passant qu’ils sont simplement en
retard ; comme si le retard était une chose normale.
L’an dernier, ce fût encore plus ridicule. Un chômeur faisant les vendanges chez moi a été convoqué par les services officiels pour un
stage d’informatique pendant les vendanges.
Cette personne avait sûrement 355 jours libres dans l’année ; il a fallu que le stage tombe dans les 10 jours où il était chez
moi ! Il n’y a pas eu de dérogation possible sous peine de bloquer les rouages bien huilés de cette magnifique machine administrative.
Enfin, toujours l’an dernier, avant les vendanges j’ai été contacté par une personne de la « cellule vendange » de l’ANPE
pour faire le point sur mon offre. Je passe sur les détails qui une fois de plus montrent le décalage qu’il y a entre ces gens là et la vraie vie.
Mais le plus extraordinaire vient de sa demande formulée dans la conversation téléphonique : « que proposez-vous pour rendre votre annonce plus attractive ? »
J’avoue que sur le moment, je n’ai pas su quoi répondre de pertinent. Alors que le vignoble bordelais est vendangé à 90% à la machine,
et que dans ma petite région, on doit bien atteindre 99,9%, je résiste en continuant à vendanger à la main, fournissant de ce fait 2 semaines de travail à 15-20 personnes. J’ai donc énuméré
une fois de plus que je paye les heures au tarif légal sans nourrir ni loger.
A posteriori, j’ai pensé que j’aurais dû proposer une voiture de fonction pour chaque poste ou même des séances de remise en
forme chez Serge Blanco.
Est-ce moi qui suis décalée ou les agents de l’administration qui vivent dans un monde parallèle ?
Ne vous méprenez pas, je n’en veux pas à ces personnes, sincères dans leurs actions mais qui ont été formatées dans la logique d’un
système de pensée qui n’a plus rien à voir avec toute efficacité économique.
Pour en revenir aux vendanges, ce sont toujours les mêmes coupeurs qui terminent leur rang en premier et qui vont aider les derniers
qui sont… toujours les mêmes.
J’ai aussi eu des spécialistes de sauts de pieds de vignes, c'est-à-dire des vendangeuses qui de temps en temps laissaient un cep non
vendangé (voire beaucoup plus) pour ne pas se retrouver trop distancées. C’est selon moi le degré ultime de la malhonnêteté.
Pourtant, à la fin de la journée, ils auront tous gagné la même somme. Il y a là une vraie injustice.
Après de telles constatations, j’ai décidé pour cette année de me passer de l’aide des « services officiels ». J’ai réduit
mon équipe au noyau dur. Finalement, l’avancement n’en est que très peu altéré ; pour un coût bien moindre et une ambiance détendue (voir le reportage de Yannick : ICI )
Mais surtout, je n’ai pas la hantise des absences du matin, des grappes laissées sur les pieds, des vendangeurs qu’il faut aller
aider,…
Pour l’instant, je n’ai pas craqué en faisant venir la machine. Mais combien de domaines ont franchi le pas simplement pour ne pas
avoir à subir tous ces tracas ?
Le chômage a fortement augmenté le mois dernier nous dit-on en haut lieu. A ce régime là, on n’est pas parti pour qu’il baisse.