Il y a quelques mois, en rangeant des vieux torchons venus des grands parents de Jean-Michel, je suis tombée sur un spécimen aux couleurs vives et…démodées. J'ai tout de suite situé l'époque de sa création, c'est-à-dire les années 70. Ce qui est pratique avec les modes très marquées comme celle là, c'est qu'on peut la situer sans avoir recours à la datation au carbone 14!
Donc, face de telles couleurs, j'ai pensé jeter le morceau de tissu sans autre forme de procès. Mais, par curiosité, j'ai
eu l'idée de déplier le torchon. Ce n'était pas un torchon ordinaire, mais un calendrier en tissu datant de 1974.
J'ai appelé Jean-Michel pour lui demander s'il pouvait me donner quelques explications sur cet objet insolite.
Dans son enfance, l'agent local des tracteurs Ford donnait en fin d'année un calendrier en tissu ventant les engins de la
marque.
Mais une année, le concepteur avait dérogé à la règle en créant un "calendrier d'anticipation".
Au-delà, du caractère folklorique de ce morceau de tissu, il y a l'idée que l'on se faisait de l'an 2000, un quart de
siècle avant l'échéance.
Chacun peut faire sa propre analyse du dessin. Plusieurs choses m'interpellent. Il y a
d'abord, l'électronique qui semble prendre une grande importance avec des automatismes capables de faire évoluer un engin seul, sans pilote, au moins, sans chauffeur
embarqué.
Sur ce point, c'est partiellement vrai car certes l'électronique prend une part non-négligeable dans
notre vie d'agriculteur mais on est encore loin d'avoir des robots évoluant seuls dans les champs.
On pourrait penser que le souci de préserver les sols contre le compactage soit à l'origine de cette disposition de roues
multiples pour un tassement minimal. Il me semble plus probable que l'auteur s'est inspiré des engins lunaires qui étaient d'actualité dans les années 70.
Un autre élément intéressant est l'intensification de la production avec des champs à perte de vue et un seul engin pour de grandes
surfaces. Là aussi, on n'est pas loin de la réalité.
L'architecture est très épurée. On ne sait pas s'il s'agit de bâtiments de stockage de grains ou d'immeubles d'habitation.
Zones de culture et urbanisme cohabitent donc avec harmonie… dans le meilleur des mondes.
L'hélicoptère semble avoir pris une place importante dans les transports au détriment de la voiture. De ce côté-là, l'auteur n'avait pas complètement bien évalué l'avenir.
Finalement, à quelques détails près, ou plutôt quelques années prés, les prévisions de ce calendrier étaient assez
lucides.
Cette vision montre une foi inébranlable dans l'agriculture intensive. C'est là que mon jugement devient plus réservé. Ce système de pensée nie totalement l'existence du sol en tant que milieu
vivant qu'il faut protéger. Le fait de piloter les engins depuis un bureau montre une aversion vis-à-vis de la terre elle-même, celle qui colle
aux bottes ; car souvent en agriculture, il faut porter des bottes. Ce n'est pas loin des rapports à la terre qui sont enseignés aux futurs agriculteurs, sinon viticulteurs!
Cette agriculture uniformise les paysages et n'envisage pas l'hétérogénéité du sol. Les productions sont décidées en fonction des prix des produits et même aussi souvent des aides allouées et pas en tenant compte de l'adaptation de chaque zone à une production plutôt qu'une autre.
Enfin, je n'aime pas l'agriculture qui dépense plus d'énergie fossile qu'elle n'en produit dans ses récoltes.
Ringarde, vous avez dit ringarde ?